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Comment sont arrivés les antillais dans l’hexagone ? Pourquoi la plupart d’entre eux occupent-ils des postes dans la fonction publique ? Autant de questions souvent posées et dont la réponse tient en sept lettres : B.U.M.I.D.O.M. Eléments de réponse sur cet épisode déterminant de l’histoire antillaise.

BUreau pour le développement des MIgrations dans les Départements d’Outre-Mer

Voici la transcription de ce sigle qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. Tout remonte aux années 1960. La seconde guerre mondiale est terminée et la France qui se reconstruit a besoin de main d’œuvre. Dans les départements d’outre-mer, et notamment aux Antilles, la situation économique est désastreuse : l’économie sucrière est en plein déclin, le chômage déjà important, devient endémique et les Dom connaissent dans le même temps une forte explosion démographique.

En 1963, le Bumidom est créé sous l’impulsion de Michel Debré (ex-premier ministre du gouvernement De Gaulle et député de la Réunion). Ce bureau est chargé d’encourager et d’organiser l’émigration des habitants des départements d’outre-mer vers la France métropolitaine. Pour séduire ces cibles, ce bureau d’un nouveau genre dispose de moyens colossaux. A grand renfort de tracts distribués dans toutes les mairies, la population fait l’objet d’un racolage en bonne et due forme.

La promesse est belle. Tous les frais sont pris en charge : formation, logement et même voyage. Le billet aller est financé sans possibilité de retour. Les antillais sont donc condamnées à rester…

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A la clé : un bel avenir mais peu d’antillais savent ce qui les attend. Et pour cause, la réalité est toute autre et le rêve français nourri dans leur imaginaire perd de sa superbe. Aux promesses d’emplois mirifiques dans l’administration française, succède la dure réalité des postes peu qualifiés, délaissés par les métropolitains dans les secteurs du bâtiment, de la mécanique et des PTT. Les Guadeloupéens, Martiniquais et Réunionnais qui ont cédé aux sirènes d’une vie meilleure sur fond de promesses dithyrambiques découvrent des conditions de vie précaires, l’isolement et la discrimination. Certes, un antillais sur deux est admis dans la fonction publique, mais à quel prix ?

Après un bref arrêt en centre d’apprentissage, ces domiens, étaient abandonnés, totalement désœuvrés dans Paris avec pour simple bagage, un ticket de métro. Et tant pis pour les promesses d’emploi et d’aide au logement. De jeunes antillais, quittant leur île pour la première fois, se retrouvaient alors confrontés à un mode de vie radicalement différent, confinés qu’ils étaient, parfois par dizaine, dans des espaces réduits, devenant hostiles. Sans parler des dérives devenus légion : séjours dans le métro, expulsions suite aux disputes familiales et découverte de la rigueur hivernale, voire la prostitution. Cruelles, les désillusions provoquent aussi de nombreux suicides.

Mais de plus en plus de voix s’élèvent contre le Bumidom. En 1968, son antenne parisienne est saccagée. Sur les murs, on peut lire « A bas l’impérialisme français et ses valets. Vive les Antilles libres ». Dans les DOM, les messages de protestation se multiplient également sur les murs, espaces d’expression dérisoires face à la puissance d’un état.

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Parmi les opposants les plus virulents, Aimé Césaire l’évoque comme un « génocide par substitution ». Il dénoncera avec lucidité le dépeuplement organisé de la Martinique au profit des métropolitains, sous couvert d’une politique officielle de résorption du chômage. Estimant cette politique dangereuse pour l’île, (d’un point de vue tant sociétal que démographique), il la dénoncera devant l’Assemblée Nationale le 13 novembre 1975 : « L’aspect le plus connu des Antilles-Guyane est sans doute celui de terres d’émigration, mais… elles deviennent en même temps et parallèlement des terres d’immigration. Les nouveaux venus […] auront tôt fait d’imposer à nos populations la dure loi du colonJe redoute autant la recolonisation sournoise que le génocide rampant ».

Montant estimé de l’opération : 3 millions de francs. Somme qui aurait facilement pu être injectée dans l’économie ultramarine afin de créer de l’emploi et de diversifier l’économie. Ces jeunes transportés auraient pu, sans rompre leurs liens familiaux, s’insérer professionnellement sur place par un emploi ou une formation et faire ainsi prospérer l’économie du pays. Mais l’objectif est tout autre : il s’agit de spolier un pays de ses forces vives !

Si on se remémore le contexte de l’époque, l’Algérie vient de gagner son indépendance au prix d’une guerre très rude. Dans le bassin caribéen, Cuba est en pleine bataille révolutionnaire et les idées communistes gagnent du terrain. Dès lors, l’investissement est proportionnel à la volonté manifeste d’enrayer toute velléité d’indépendance. Au double motif de se procurer une main d’œuvre bon marché et de dévitaliser les Dom-Tom de leur jeunesse pour contrer la grogne ambiante, l’état créé le BUMIDOM ; Instrument de muselage à peine masqué des populations antillaises. Les jeunes candidats, avides à la fois de reconnaissance et de progression sociale, n’y ont vu que du feu, impatients qu’ils étaient de goûter au rêve français, fut-ce au prix d’un déracinement familial et culturel.

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Un autre pan de ce drame humain se joue. Les candidats au voyage sont affublés d’un nom, qui même aujourd’hui, transcrit tout le dédain dont les accable « ceux qui sont restés », par envie, mépris ou militantisme. Ils sont désormais « négropolitains ». Rejetés dans leur île, car traînant une image de miséreux ayant accepté l’aumône de l’état nation, étrangers en France où ils se trouvent confrontés au racisme, confondus qu’ils sont avec les immigrés africains qui arrivent en masse, les antillais ne trouvent plus leur place nulle part.

Au total, c’est plus de 150 000 personnes qui ont migré vers la métropole et finalement le Bumidom n’aura rien changé au chômage des îles, qui reste toujours aussi important. Cette politique migratoire conçue par l’état français reste, encore aujourd’hui, un élément important de compréhension du développement économique et social des Dom. Au point tel que les personnes nées dans les Dom ou originaires de ces territoires par leurs parents, forment numériquement le 5ème Dom (le 6ème en comptant Mayotte, devenu Dom depuis 2009) sur le sol de la France métropolitaine, issue de deux courants d’émigration : l’un spontané, l’autre méthodiquement orchestré.

Le Bumidom disparaît finalement en 1981 au profit de l’ANT, l’Agence nationale pour l’insertion et la protection des travailleurs d’outre-mer, qui elle-même, deviendra LADOM, l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité. On peut toutefois s’interroger sur la nécessité d’une telle agence encore aujourd’hui qui, au motif de la continuité territoriale pourrait être soupçonnée d’organiser la fuite des cerveaux.

Et si parfois les termes excessifs de « déportation » ou de « nouvelle traite négrière » sont employés pour décrire le Bumidom, ils doivent être rapportés à la réalité d’un départ qui était certes choisi et parfois souhaitable (pour ceux échappant à une misère certaine), mais qui reste l’émanation d’une entrave à la liberté des peuples à s’émanciper par eux-mêmes et pour eux-mêmes. A bien y regarder, les promesses oubliées, la force de frappe gouvernementale et la volonté manifeste d’enclaver un territoire ont présidé et président encore à la destinée de centaines de milliers d’antillais qui, faute d’ancrage historique, géographique, culturel, familial et sociétal écrivent leur propre histoire avec des pans entiers qui font cruellement défaut. 

A découvrir : 

Péyi an nou, Bd de Jessica Oublié et Marie-Ange Rousseau. Editions Steinkis

Le gang des antillais, film de Jean-Claude Barny sorti en 2016

Le rêve français, documentaire réalisé par Christian Maure (production France Zobda/Jean-Lou Monthieux). Diffusé sur France 2 et récompensé au Festival de la Rochelle