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Homme politique, homme de conviction, médecin brillant, compagnon fidèle d’Aimé Césaire. On retient de Pierre Aliker une histoire personnelle singulière qui deviendra le terreau de son engagement franc, persistant, total. Portrait de l’homme d’un siècle.

Co-fondateur du parti au balisier, l’emblématique Parti Progressiste Martiniquais (PPM), le père Aliker, surnom affectueux donné par ses compatriotes, est un homme sage au parcours peu banal. Né la 9 février 1907, fils d’ouvriers agricoles, c’est le premier Martiniquais interne des Hôpitaux de Paris. Titulaire d’un doctorat en médecine, il rentre en Martinique en 1938 où il exerce le métier de chirurgien. Frère cadet d’André Aliker (1894-1934), dont le corps sans vie est retrouvé ligoté à Case-Pilote le 12 janvier 1934, il restera profondément marqué par cet épisode douloureux. Son frère, rédacteur en chef et journaliste communiste du journal Justice y dénonce les injustices et publie une édition spéciale (datée du 11 juillet 1933) révélant des pièces du dossier prouvant la culpabilité du béké Aubéry dans une affaire de fraude fiscale. À sa mort, Pierre Aliker se fait une promesse muette : s’habiller invariablement de blanc pour ne pas oublier que ce 12 janvier, l’injustice a pris le pas sur l’équité. Un combat silencieux mais constant, qu’il mènera jusqu’au dernier jour de sa vie. Résultat de recherche d'images pour "pierre aliker"

Stomy Bugsy, dans le rôle d’André Aliker (Réalisation : Guy Deslauriers)

L’engagement

En 1945, il s’engage en politique aux côtés d’Aimé Césaire, et figure sur la liste communiste conduite par ce dernier aux élections municipales de Fort-de-France. Aimé Césaire remporte brillamment les municipales et devient maire de la capitale. Pierre Aliker devient son plus fidèle allié (conseiller municipal de 1945 à 1956 – premier adjoint de 1957 à 2001). À 33 ans pour l’un et 40 ans pour l’autre, ils ont réussi l’impensable : battre le monstre politique Joseph Lagrosillère, figure socialiste de l’époque. Plus qu’un vote, c’est un plébiscite. Les deux hommes se rencontrent à Paris, Césaire poursuit ses études à l’Ecole Normale Supérieure, Aliker fait son internat.  Après une rencontre au salon des sœurs Nardal qui poursuivent la tradition intellectuelle familiale en conviant les membres de la diaspora noire à échanger, une amitié intellectuelle et une fraternité complice voit le jour. Et voilà deux hommes que rien ne prédestinait à la politique, brillants dans leurs domaines de de compétences respectifs qui, portés par la confiance d’un peuple, vont devenir à la fois gestionnaires, bâtisseurs, régisseurs et soigneurs d’un peuple.  

Le tournant politique

En 1956, c’est la fracture avec le parti communiste. La lettre ouverte de Césaire à Maurice Thorez, secrétaire général du Parti Communiste Français consommera le divorce. Il y déclare que « ce n’est ni le marxisme, ni le communisme » qu’il renie, mais que « c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme » qu’il réprouvait.

Résultat de recherche d'images pour "pierre aliker" De gauche à droite : Aimé Césaire, André Aliker, Camille Darsières 

Le 28 mars 1958, Pierre Aliker fonde avec Aimé Césaire un nouveau parti politique, le Parti Progressiste Martiniquais (PPM) dont le mot d’ordre est « une région Martinique autonome dans un ensemble français décentralisé ». Pierre Aliker, soutien fidèle, devient le vice-président du PPM, fonction qu’il occupera jusqu’au 17ème congrès du parti en 2005. Conseiller général du canton 3 de Fort-de-France de 1958 à 1970, Pierre Aliker est également à l’origine du SICEM (Syndicat intercommunal du Centre de la Martinique), qu’il présidera de 1997 à 2001, prélude ambitieux de la CACEM (Communauté d’agglomération du centre de la Martinique regroupant Fort-de-France, Schœlcher, le Lamentin et Saint-Joseph).

Un héritage colossal

En mars 2001, Aimé Césaire et Pierre Aliker annoncent qu’ils ne brigueront pas de nouveaux mandats. Ils auront passé 56 ans à la tête de la capitale. Ils soutiennent Serge Letchimy, candidat PPM aux élections municipales de 2001 qui, intronisé qu’il est par ses illustres pairs remportera brillamment les élections. Pierre Aliker a été le bras droit d’Aimé Césaire à la mairie de Fort-de-France pendant plus d’un demi-siècle. Lorsqu’on lui demande les raisons de la longévité de cette collaboration, il cite Karl Marx qui préconise de « ne jamais permettre que l’intérêt général soit noyé dans les eaux glacées des intérêts privés ». Cette maxime a été « leur étoile polaire commune ». Le 9 février 2007, à l’occasion de son 100ème anniversaire, le stade de Dillon de Fort-de-France devient le stade Pierre Aliker, rendant ainsi hommage à son parcours d’exception. Durant cette inauguration, Serge Letchimy prononce les phrases suivantes en parlant d’Aimé Césaire : « Il lui fallait un homme d’envergure : cet homme a été l’indéfectible Docteur Pierre Aliker. Sans Césaire, il n’y a probablement pas d’Aliker. Mais sans Aliker, il n’y a probablement pas de Césaire. »

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Le 20 avril 2008, dans le stade qui porte son nom, il rend un dernier et poignant hommage à « son plus fraternel ami » et compagnon de lutte, Aimé Césaire, lors des obsèques de ce dernier. Il rappelle dignement, en présence du Président de la République, Nicolas Sarkozy, que « les meilleurs spécialistes des affaires martiniquaises, ce sont les Martiniquais », recueillant une pluie d’applaudissements. L’assemblée debout l’acclamera de longues minutes. Le parcours de cet homme et son humilité désarmante, en ont fait une figure de l’histoire martiniquaise. Histoire qui se construit encore au prix d’une infinie violence et se heurte à la recherche permanente de repères à la fois identitaires, historiques, sociaux et politiques.

Personnalité attachante, exemple inspirant. Pierre Aliker en acceptant le mandat du peuple foyalais est devenu plus qu’un administrateur du pouvoir, mais un bâtisseur d’espoir, un activateur de conscience. Travailleur acharné, il n’aura eu de cesse de préciser que « les martiniquais doivent viser l’excellence » dans tout ce qu’ils entreprennent et se garder de se complaire dans une médiocrité paralysante. Ne jamais se contenter de l’à-peu-près ou du « I bon kon sa ».

Centenaire d’une élégance rare, le rire franc, l’œil pétillant, osant la malice jusqu’à épouser sa belle à l’aube de ses 102 ans (Michelle Landry, une infirmière rencontrée 60 ans plus tôt), Pierre Aliker a toujours agi en homme libre. L’homme en blanc a tiré sa révérence le 5 décembre 2013, à l’âge de 106 ans, 5 ans après son acolyte de toujours.