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Romancière, militante, enseignante et critique, voilà autant de cordes à l’arc d’une femme qui explore les méandres de la diaspora noire forte de ses richesses mais aussi de ses complexités. Rencontre avec une femme de caractère.   

Marise Liliane Appoline Bocoulon, dite Maryse Condé est née à Pointe-à-Pitre en 1937. Cadette d’une famille de huit enfants, elle quitte sa famille à l’âge de 16 ans pour poursuivre ses études à Paris, au lycée Fenelon. En 1959, elle épouse sans amour Mamadou Condé, comédien guinéen en quête d’un succès qui ne viendra jamais. L’effervescence de la décolonisation et du mouvement de la négritude porté par les intellectuels noirs de l’époque l’amène à sillonner l’Afrique occidentale, d’abord avec son mari guinéen puis seule, avec ses quatre enfants. La Côte d’Ivoire où elle enseignera, la Guinée deux ans plus tard et enfin le Ghana. Elle subira d’ailleurs les foudres de la société bien-pensante parisienne, puis africaine, surprise de découvrir cette femme flanquée de ces quatre enfants sans père.

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Maryse Condé et ses quatre enfants

Qu’à cela ne tienne : ses années africaines lui inspireront son best-seller : en deux tomes, Ségou, Les Murailles de terre (1984) puis Ségou – La Terre en miettes (1985/ Ed. Robert Laffont). Cette puissante saga historique sur le naufrage de l’empire bambara du XVIIe au XIXe siècles mêle événements historiques aux frasques d’une famille, dont la lente décomposition annonce celle de l’Afrique libre.

Dans les années 1970, elle quitte l’Afrique pour s’installer en France. En 1982, elle épouse Richard Philcox en secondes noces, le traducteur de la plupart de ses romans. Elle obtient ensuite une bourse Fulbright* en 1985 pour enseigner aux Etats-Unis et séjourne pendant un an à Los Angeles. Elle fait le choix de l’Amérique pendant et y enseigne la littérature antillaise à l’université de Columbia à New York pendant près de 30 ans.

La reconnaissance

Venue à l’écriture assez tard, à l’âge de 42 ans, Maryse Condé compte près d’une vingtaine de romans à son actif, dont Moi, Tituba, sorcière (grand prix littéraire de la Femme, 1986), La Vie scélérate (prix Anaïs-Ségalas de l’Académie française, 1988), Le Cœur à rire et à pleurer (prix Marguerite-Yourcenar, 1999). N’oublions pas de citer le prix Putterbaugh, qu’elle a été la première femme à recevoir. Décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française, il rend hommage à l’ensemble de son œuvre en 1993. Avec un tel palmarès, elle est l’auteure féminine antillaise la plus capée à des kilomètres à la ronde.

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Les romans de Maryse Condé nous emmènent à la découverte des Antilles mais aussi de l’Afrique et de l’Europe : trois territoires fondateurs de l’histoire de l’écrivaine et de l’histoire du peuple noir. Antillaise noire débarquant de sa Guadeloupe natale et livrée au mépris parisien, elle est considérée comme une étrangère, y compris par la communauté africaine locale. Quelle déconvenue : les noirs ne sont-ils pas donc tous frères ? Eh bien non ! Elle le découvrira dans la douleur. En Afrique d’abord, rejetée par la communauté africaine qui lui reproche de ne pas être une des leurs. Aux Etats-Unis ensuite (où elle a vécu 28 ans), rejetée par la communauté afro-américaine qui lui reproche que ses parents n’aient pas eu à s’asseoir à l’arrière d’un bus pour laisser leur place aux blancs. Consciemment ou inconsciemment, quelle différence après tout. Le taux de mélamine ne déterminerait donc pas le degré d’acceptation, d’intégration et de tolérance des peuples entre eux. Elle n’a pas la même histoire, ne comprend pas les mêmes codes. Elle reste à part.

La révélation 

Ces expériences viendront à bout d’une certaine idée de la négritude qu’elle tient de ses rencontres littéraires. Le « tous noirs, tous frères » de Césaire s’effondre, confronté qu’il est à une réalité certes cruelle, mais bien réelle. Elle qui se décrivait comme « l’héritière de Césaire et la petite sœur de Fanon » a revu sa copie et revendique désormais l’héritage de Fanon, plus âpre, plus agressif, offensif, même. Bien qu’elle nourrisse encore une admiration sincère pour le père de la négritude, « la tolérance, qui a la part belle dans l’œuvre de Césaire, fait place à une agressivité franche chez Fanon dont je me sens plus proche » confiera-t-elle.  Ecartelée entre deux visions du monde, ses prises de position laissent parfois perplexes tant elles sont empreintes de cette dualité permanente mais inhérente à la pensée de l’auteure.

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Ces périodes bien qu’éprouvantes sont signes de pertes de repères chez Maryse Condé. Elles sont également synonymes de transitions identitaires car, comme elle le rappelle souvent, sans son expérience africaine « elle ne s’assumerait pas aussi bien en tant que femme noire ». Et ses personnages, hommes et femmes noirs également, en proie aux démons de la quête identitaire en sont la traduction directe. Car les romans de Maryse Condé sont parsemés d’aspirations et de préoccupations. De préoccupations et de revendications du peuple noir. Ou devrait-on plutôt dire des peuples noirs, non plus unis par leur seule couleur de peau mais par leur « vivre-ensemble ». Car l’histoire commune débutée en fond de cale des négriers par-delà les océans ne suffit pas à construire un peuple. Pour faire peuple, il faut bien plus et cela porte un nom : la culture.

Une battante 

Agée de 81 ans, c’est depuis la Provence où elle a choisi de se retirer avec son mari, qu’elle nous livre son dernier roman patiemment dicté à ce dernier. Après avoir annoncé Mets et merveilles (2015/ Ed. JC Lattès) comme son dernier roman, l’infatigable écrivaine publie « Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana » (2017/ Ed. JC Lattès). Très affectée par la maladie dégénérative de Parkinson, elle ne peut plus écrire et doit se faire aider pour assouvir sa passion.

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Malgré son handicap, Maryse Condé reste une observatrice attentive de notre société et choisit l’actualité : la radicalisation est le sujet de son dernier roman. A travers l’histoire d’Ivan et Ivana, des jumeaux aux prises avec une attirance mutuelle incestueuse entre la Guadeloupe, la banlieue parisienne et les coulisses maliennes djihadistes. C’est le 22e roman de l’écrivaine. Le compteur restera-t-il bloqué à 22 ? Maryse Condé, très affectée par l’évolution de la maladie, affirme que oui.   Espérons que non. Pour lire ces savoureuses histoires qu’elle seule sait concocter. Espérons que non. Pour découvrir des personnages insaisissables, des lieux improbables, des intrigues savamment ficelées. Espérons que non. Si vous, qui êtes en train de lire ces lignes, êtes du même avis, parlons d’une seule voix et espérons… que non !

*Bourse américaine Fullbright : La Commission Fulbright franco-américaine soutient les projets d’étude et de recherche des étudiants, doctorants et chercheurs français. Elle offre chaque année une centaine de bourses à des candidats français qui souhaitent se rendre aux Etats-Unis. Du nom du sénateur J. William Fullbright célèbre pour sa contribution à l’éducation et la compréhension envers les cultures.