Sélectionner une page

Les premiers pas juifs en Martinique…

La diaspora juive est apparue en Martinique suite à l’arrivée des premiers colons sur l’île.

En 1654 après la conquête du Brésil par les Portugais, quelques Juifs hollandais fuirent le pays , à partir de Recife, et trouvèrent refuge dans la partie nord-est de la Martinique ; d’où son nom de Petit-Brésil. On leur doit l’introduction des techniques permettant la cristallisation et le raffinage du sucre (construction des canaux d’irrigation, de moulins à eau et à vent). Ils furent sujet à des persécutions officielles.

En 1659, sous la pression des Jésuites, leur droit de commerce leur fut ôté. Dans la continuité, Louis XIV ordonna leur expulsion de l’île en 1685. Certains s’enfuirent vers la Barbade, d’autres devinrent conversos et furent contraints de se convertir au Christianisme.

Suite à la modification de la loi d’interdiction de commerce, les Juifs de Martinique jouirent à nouveau de leur plein droit et s’épanouirent sur le plan économique. Néanmoins, les marchands juifs qui refusaient de travailler durant le shabbat étaient victimes d’une amende. Encore une fois, aux Antilles comme en Europe, les Juifs subissaient le ressentiment de ceux qui voyaient dans leurs prouesses économiques une menace sur le commerce.

A cette période, cinq d’entre eux parmi ces premiers Juifs en Martinique sont à citer :

  • Jacob Gabaye, résident de Saint-Pierre, sa propriété abritait une synagogue rudimentaire et un cimetière juif
  • Jacob Louis, de Rivière-Salée
  • Abraham Bueno, du Marigot
  • Isaac Le Tob, du Carbet
  • Benjamin Da Costa, pionnier de la culture du cacao, de la canne à sucre et de l’extraction de l’indigo. Son chocolat et ses confitures de fruits étaient vendus à Amsterdam, Bordeaux et Bayonne. Des recettes ancestrales qui provenaient des Indiens Caraïbes, population décimée par la suite.

Les persécutions envers les Juifs s’intensifièrent sur l’île.  En effet, les jésuites les torturaient. L’article 1 de l’édit de mars 1685 officialise l’ordre d’expulsion des Juifs promulgué par Louis XIV. La réalité sur place était quelque peu différente. Les lois antijuives étaient appliquées de façon discutable. En 1695, le comte de Blénac fut dénoncé par la chancellerie française au gouverneur de la Martinique, pour avoir autorisé six familles juives à rester sur l’île. Il s’empressa alors d’obéir à ce rappel à l’ordre et fit appliquer l’ordonnance antisémite.

En 1727 les Juifs réapparurent à la Martinique. L’un d’eux, Abraham, issu de l’éminente famille Gradis originaire de Bordeaux, travaillait en étroite collaboration avec son frère David en tant que représentant de la compagnie chargée d’approvisionner la Marine (surtout en rhum) et qui portera plus tard le nom des Gradis. Il mourut en laissant un testament en faveur de ses deux sœurs Judith et Rebecca. Les autorités françaises ne reconnurent pas le testament et annulèrent l’héritage. Il revînt au trésor royal sous prétexte qu’un Juif n’avait aucun statut légal sur l’île. La famille Gradis prospéra néanmoins en même temps que l’industrie sucrière.

 

Actuellement, la population juive martiniquaise est approximativement de 450 individus regroupés sous 190 foyers. La population martiniquaise ayant augmenté de plus de 50 000 individus depuis 20 ans, on aurait pu s’attendre à voir le nombre de Juifs lui aussi accroître. Cependant cette intuition est fausse. Leur nombre sur l’île est resté stable. Cela reflète de la grande mobilité des Juifs de la Martinique. Ce sont majoritairement des Sépharades d’Afrique du nord, principalement d’Algérie: Les piliers de la communauté sont issus des familles Chicheportiche, Illouz, Marciano, Nakache, Taëb, Zaoui, Zerbib. La première synagogue de Martinique a ouvert ses portes en 1996. Son inauguration a d’ailleurs fait l’objet d’un documentaire tv controversé, « La mentalité errante du Juif antillais ».

Environ 280 des adultes sont membres officiels de l’A.C.I.M, une association culturelle juive : l’Association Commerçants Indépendants Martiniquais. Aucun test religieux n’est réalisé avant l’adhésion ou pour participer à ses activités. Il suffit de régler les frais d’inscription. Ainsi il est possible d’être membre à part entière de la communauté « israélite » et de « vivre juif ». Pour les enfants juifs les établissements sont dans l’obligation de servir des repas casher et un repas communautaire de shabbat à la cantine. Cela concerne, à midi, trois douzaines d’écoliers.

Quelques obstacles qui peuvent être liés au milieu antillais, persistent dans le domaine sacramentel. Certains événements ou sacrements ne sont parfois pas célébrés : la circoncision, la bar-mitzvah ou même le mariage traditionnel. Du fait que la Martinique est française, l’A.C.I.M. est placée sous la juridiction assez stricte et conservatrice du Consistoire de Paris. La reconnaissance des statuts religieux, les conversions s’effectuent donc à huit mille kilomètres de l’île. On trouve également en Martinique les Loubavitch, un mouvement messianique rival présent aussi sur d’autres territoires ultramarins. Leur base est à Londres, leur organisation Ufaratsta tient un journal « l’Hebdomadaire juif des Iles » distribué dans les synagogues de la Guadeloupe, Tahiti, la Réunion et la Nouvelle-Calédonie.

Parmi les foyers juifs, on retrouve des couples que l’on pourrait qualifier de mixtes. Ils représentent 28 % de la communauté juive de Martinique. C’est une situation courante dans toute la diaspora mais qui mêlée à la culture locale, tend, en contexte, à une créolisation des mœurs.

Christine Clément, psychothérapeute pratiquant martiniquaise, a révélé la présence du Syndrome Répressif de la Shoah chez une poignée de jeunes de l’île. Ce sont les petits enfants d’anciens déportés atteints du traumatisme de l’Holocauste, passé sous silence au sein des familles mixtes. Ces jeunes n’ont aucun rapport formel ou affectif avec la communauté juive. Initialement, c’est un traumatisme héréditaire qui laisse une empreinte biologique, une véritable marque sur l’ADN de la génération suivante. Dans leur cas les mariages mixtes sont perçus comme un moyen de couper tout lien avec leur judéité. Ces cas ne concernent qu’un nombre relativement restreint d’enfants. La violence inexprimée de l’holocauste serait donc partie intégrante des troubles de la jeunesse qui affectent la société martiniquaise. Mais la plupart des unions judéo-créole entre un homme juif et une femme antillaise (le plus souvent dans ce sens) est plutôt positive. Les Antilles ont une imprégnation religieuse forte, plus élevée que la moyenne métropolitaine. On constate ainsi que les Antillais convertis à la religion juive sont plus impliqués dans leur pratique.

Durant quatre longs siècles, les Juifs se sont périodiquement installés sur l’île, entre expulsions (du Brésil, en 1654 et de la Martinique, en 1683), catastrophe naturelle (les années précédant l’éruption volcanique de la Pelée en 1902) et atroces persécutions (le régime local de Vichy de 1940 à 1943).

Cette page sombre est maintenant tournée, comme en témoigne la rencontre publique en juillet 2008 entre René Samuel Sirrat, le Grand rabbin du Consistoire central de France et le prêtre de la paroisse de Bellevue, Hugues Lafine.