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Le scandale du chlordécone est loin d’être clôt. Bien que ce pesticide ne soit plus utilisé officiellement depuis 1993 en Martinique, les conséquences sur l’environnement, l’économie et surtout la santé perdurent. Cela pour 7 siècles, si l’on s’en réfère aux dires des scientifiques. L’affaire du chlordécone aux Antilles, c’est comme celle de l’amiante dans l’hexagone. Un souci de rentabilité maximisée, des effets catastrophiques sur l’Homme, une pointe de secret et beaucoup de procès en cours.

Le chlordécone est un pesticide organochloré extrêmement toxique utilisé dans les années dès 1973 aux Antilles pour tuer le charançon, petit insecte particulièrement vorace et ravageur, décrété à l’époque ennemi n°1 du bananier. On s’est rapidement rendu compte que cet insecticide pouvait également tuer l’Homme… Aux Etats-Unis, la molécule était synthétisée et vendue sous le nom de kepone par l’usine Hopewell notamment. Un incident intervenu dans l’établissement coûte aux employés des troubles neurologiques, ophtalmologiques, hépatiques ou encore des troubles de la mémoire et de la fertilité. L’usine est fermée en 1975, les Etats-Unis interdissent sont utilisation l’année suivante. C’est tout autre chose en France… Bien que les signaux d’alerte soient nombreux et venant de tous côtés,  ce n’est qu’en 1989 que l’insecticide est interdit… en hexagone. Des dérogations sont successivement obtenues par les grands planteurs antillais à la demande d’élus locaux, pour continuer d’utiliser cette arme redoutable. Ce n’est qu’en 1993 que le produit est également interdit aux Antilles. Néanmoins, un dérivé appelé curlone est utilisé jusqu’en 2005, après que des patates douces contaminées soient saisies à Dunkerque en 2002.

Ce décalage s’explique principalement par le facteur économique, à savoir le poids de la banane aux Antilles. Sans la banane, star des exportations, il faudrait intégralement repenser le système économique antillais et revoir à la hausse le coût des importations qui grimperait fortement. Grâce à l’activisme de nombreux acteurs (associations, scientifiques etc.), à l’incident de 2002 et aux nombreuses plaintes déposées contre X, l’affaire devient peu à peu médiatisée. En 2007 sort « Chronique d’un empoisonnement annoncé », co-écrit par Raphaël Confiant et Louis Boutrin. Le livre dénonce la complicité de ceux qui ont permis à ce désastre de perdurer bien au-delà de l’entendement. L’eau, la terre, l’Homme, tout est contaminé en Martinique. « Difficilement biodégradable et fortement persistant dans l’environnement », d’après Mr Joly, chercheur à l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique).  L’affaire chlordécone est donc loin d’appartenir au passé.

33% des du littoral aujourd’hui interdit à la pêche, plus de deux dizaines de milliers d’hectares de sols pollués et plus particulièrement ceux du nord de la Martinique. Les conséquences sur la nature, les pêcheurs, éleveurs et agriculteurs, sont désastreuses. Celles sur la santé publique le sont tout autant. Une courbe des naissances en dégringolade depuis 2005, un 1er  rang mondial au classement des pays où il y a le plus de gens atteints d’un cancer de la prostate etc. Les deux études épidémiologiques menées sur le sujet appuient ces tristes résultats. La première, dite étude TI MOUN et réalisée par l’INSERM a démontré qu’il y avait une contamination de la mère à l’enfant qui se fait via le cordon ombilicale, puis le lait maternel. La seconde, baptisée étude MADIPROSTATE et réalisée par l’Institut National du Cancer démontre que l’exposition à cette molécule hautement toxique entraine une forte hausse du risque de développement d’un cancer de la prostate ou du sein. Cette étude ayant soudainement et été stoppée l’an dernier, beaucoup d’informations restent incomplètes. C’est d’autant plus étonnant qu’elle se déroulait parfaitement bien, car la population se montrait très coopérante.

C’est là le problème principal des activistes qui se battent pour obtenir la responsabilité pénale des acteurs concernés. Le lien de causalité entre l’utilisation du chlordécone et le dommage sanitaire observé en Martinique n’a pas été clairement reconnu. Il l’a été il y a plus de 30 ans aux États-Unis… Les procès en cours depuis 10 ans maintenant sont sans résultats notoires et sont même carrément au point mort à ce jour. Si la justice française a du mal à faire avancer les choses, la Commission européenne semble plus réactive. La pétition envoyée a été jugée recevable et est en cours d’instruction. Selon l’avocat guadeloupéen Harry Durimel, « la France peut se voir incriminée et sommée de prendre des mesures » que l’on peut assimiler à des réparations.

Le combat concerne aussi bien la Guadeloupe que la Martinique mais il faut avoir à l’esprit que les deux îles n’ont pas été exposées au même degré d’intensité. La Martinique a une zone d’hectares contaminés par ce poison 3,5 fois plus grande que la Guadeloupe. Cela probablement parce que les deux îles n’ont pas la même classe dirigeante. Quoi qu’il en soit, les filières bananes ont été largement assainies depuis et la Martinique et la Guadeloupe jouissent d’un label de qualité créé en 2008 dans le cadre du plan « Banane durable ». Y figure notamment l’engagement d’utiliser des pièges à charançons pour une lutte sans impact sur l’environnement. C’est ainsi que 27 millions de bananes partent chaque semaine vers l’Europe.

Le scandale du chlordécone a donc toute l’attention d’un certain nombre d’individus, à commencer par les habitants des deux îles. La décision de la Commission européenne est vivement attendue. Néanmoins, il y a fort à parier que les suites à donner à cette affaire seront houleuses. Déjà parce que les dommages sur la santé du peuple martiniquais sont irréversibles et parce qu’aucune solution pour dépolluer les sols et les eaux n’existe à ce jour.