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À l’heure où les négociations vont enfin pouvoir commencer entre les syndicalistes guyanais et l’État après bientôt deux semaines de manifestations, cette crise n’est pas sans rappeler celle qui a touché la Guadeloupe le 20 janvier 2009, pour lutter contre la vie chère, ayant entrainée une paralysie totale de l’île pendant 44 jours. Quel climat règne maintenant aux Antilles, plus de huit ans après les faits ?

 

Beaucoup de promesses à tenir

Dès le premier jour des manifestations, le LKP, mené par Élie Domota, déposait une liste comprenant pas moins de 146 revendications. Les principales concernant une baisse du prix du carburant ainsi que des produits alimentaires mais surtout une augmentation de 200€ sur les plus faibles salaires.

L’accord Jacques Bino, concernant la revalorisation des bas salaires, du nom du syndicaliste tué lors du mouvement, a fini par être signé par de nombreuses organisations patronales minoritaires. Cet accord concernant plusieurs dizaines de milliers de salariés sera appliqué pendant quatre ans. Le 25 juillet 2013, les sept organisations syndicales ayant signé l’accord se réunissent pour réclamer le paiement de ces 200€, que les entreprises ont cessé de verser aux salariés, l’État n’assurant plus sa part depuis plusieurs semaines. La participation de ce dernier est souvent remise en cause mais finalement en 2016, l’accord Jacques Bino s’étend à d’autres grandes entreprises liées à l’hôtellerie, le tourisme et la restauration.

Lorsque les stations-service décident de ne plus approvisionner la population, à l’exception des véhicules prioritaires, c’est toute la Guadeloupe qui se retrouve immobilisée. Le prix du carburant est trop élevé et ne cesse d’augmenter. La mesure demandée par le LKP est une réduction immédiate de 50 centimes. L’État force donc la main à Sara, une filiale de Totale, unique distributeur de carburant en Guadeloupe. Pour compenser ses pertes, Sara exige une participation de l’État français. Cette mesure ne tiendra pas plus de six mois, et en septembre 2009, la première hausse du prix du carburant est annoncée déclenchant la foudre des syndicalistes qui menacent aussitôt de retourner manifester dans la rue. Six centimes d’augmentation sont prévus, amenant le prix du litre de super à 1,14€ et le prix du gazole à 0,96€. En avril 2017, le litre de super affiche 1,36€ à la pompe quand celui du gazole est de 1,16€.

Dès le début de l’année 2009, la hausse de l’inflation dans les Caraïbes concernant de nombreux services parmi lesquels l’alimentation, pousse les manifestants à demander une réduction des produits basiques. Des produits qu’une grande majorité d’habitants utilisent sachant que la Guadeloupe pratique une importation autour de 80% malgré une production locale importante. Le LKP appelle d’ailleurs la population à consommer local pour ne plus être aussi dépendant du marché mondial. Pourquoi les produits sont aussi chers ? À cause d’une concurrence relativement faible, les patrons peuvent donc fixer les prix qu’ils souhaitent qu’ils justifient par une forte taxation. Lors de la signature de l’accord avec le LKP sur une baisse des prix des produits de première nécessité, plusieurs enseignes de grande distribution s’exécutent dans les jours suivant l’accord comme Ecomax, la première à avoir signé. Pourtant, selon une enquête menée par l’INSEE, pour les mêmes produits achetés par un consommateur guadeloupéen et un consommateur métropolitain, la différence de prix est aujourd’hui de l’ordre de 40%.

 

Les principaux acteurs

La figure incontournable de cette manifestation sans précédent dans les Caraïbes est sans aucun doute Élie Domota, porte-parole du LKP, qui a su par sa détermination faire entendre la voix du peuple antillais au-delà des frontières. Souvent critiqué, parfois accusé d’incitation à la haine raciale envers les békés, il sera d’ailleurs poursuivi pour l’une de ses déclarations. Élie Domota reste encore aujourd’hui bien présent dans le paysage politique, économique et social de l’île et appelle désormais à soutenir la Guyane.

Yves Jégo, secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer depuis quelques mois ne le restera pas longtemps. Arrivé en Guadeloupe plus de deux semaines après le début des manifestations, il tente d’apaiser la situation en annonçant certaines mesures comme des billets d’avion à 340€ ou la baisse du prix de produits de première nécessité. Il déclare rester jusqu’à ce que la crise prenne fin cependant il est rappelé par François Fillon, Premier ministre de l’époque, une dizaine de jours plus tard. Son incapacité à gérer ce conflit entrainera son éviction du gouvernement quatre mois plus tard.

Enfin le peuple guadeloupéen a joué le rôle le plus important dans ce long conflit en soutenant en grande majorité le LKP. Selon une enquête pour RFO Guadeloupe réalisée par le site Qualistat, 93% des interrogés disent adhérer au mouvement du LKP et 89% déclarent vouloir favoriser la consommation locale.

 

Conséquences de la grève

Willy Angèle, le patron du Medef à cette époque avait prédit un taux de chômage de 30% suite à la longueur de la grève. Une opinion plus ou moins partagée par Nicolas Vion, le président du groupement hôtelier et touristique de Guadeloupe qui déclare en février 2009 que « des licenciements sont inéluctables ». En 2008, avant le mouvement, le taux de chômage était de 22%, il est aujourd’hui aux alentours de 23,7%. Pas encore aux 30% annoncés par M. Angèle donc, mais qui place néanmoins la Guadeloupe comme le département français le plus touché par le chômage. Triste record.

Le tourisme qui représente 7% du PIB de l’île dont 60% du chiffre d’affaires de l’année se fait entre janvier et avril a été fortement touché entre les hôtels et l’aéroport qui étaient fermés. Avant la grève, le nombre de touristes de séjours était de 412 000 connaissant une légère hausse par rapport à 2007, et maintenant ? Il semble que la crise n’ait pas empêché les touristes de revenir car ils sont actuellement plus de 486 000 à fouler le territoire.

Si certaines mesures n’ont pas été respectées, la Guadeloupe n’a pas tout perdu à l’issue de ce conflit. Le constat est mitigé. Si après des mois difficiles, l’activité touristique est revenue à la normale, le chômage reste préoccupant. Des différences flagrantes entre la Métropole et la Guadeloupe subsistent toujours, des différences qui en grande partie viennent des décisions de l’État français. Pas sûr que le prochain qui se dessinera dans quelques semaines y change grand-chose…